Une brève histoire du jeu

4 décembre 2020 par Denis Duperthuis

Les publications et les articles sont aujourd’hui nombreux sur le sujet du jeu. C’est d’ailleurs la plupart du temps le sujet de passionnés et de pédagogues. Mais même si le jeu à une place prépondérante dans de nombreuses civilisations, il n’a malheureusement pas fait l’objet pendant longtemps d’études historiques sur la question. Car le jeu a été jugé pour être un sujet non sérieux et improductif (Roger Callois 1953). Ainsi on considérait le jeu le plus souvent sous son aspect récréatif. Cela a été dépassé notamment grâce à l’apport de chercheurs, on peut citer notamment Johan Huizinga en 1938 qui soulignait la fonction sociale du jeu. En effet, dans son ouvrage intitulé Homo Ludens, cet historien néerlandais étudie l’influence du jeu dans la culture européenne. Le jeu est pour lui un véritable objet de culture : « le jeu est une tâche sérieuse ». Dans les années 70, les Games Studies développent une approche transdisciplinaire dans laquelle s’interpénètrent des méthodes de disciplines constituées (histoire, sociologie, psychologie, anthropologie) et des disciplines transversales (génétique textuelle, sémiotique, narratologie et ludologie), selon Marc MARTI et Raphaël BARONI dans leur ouvrage « de l’interactivité du récit au récit interactif. On retrouve d’ailleurs cette approche interdisciplinaire dans la journée d’études du CRIHAM, le 8 mars 2013 consacré au jeu dans l’histoire de l’Antiquité à nos jours. Le jeu, miroir des sociétés ? Ludisme et Education : peut-on apprendre en jouant ? Jeu de pouvoir ou pouvoir du jeu ? Cette journée fut l’occasion d’une réflexion sur le rôle du jeu dans la société, ses interactions avec les institutions tel que le système éducatif et parfois ses liens avec le pouvoir.

Selon François Perdrial (les jeux et les hommes- 1992), chaque société, chaque groupe organisé a introduit l’activité ludique dans sa structure sociale car, en plus de son rôle de divertissement, le jeu a pour fonction éducative l’apprentissage de la vie collective. Les jeux sont donc un des composants et par là même les témoins d’une société.

Nous allons tenter de vous proposer une description de l’évolution du jeu dans les différentes époques et civilisations. Nous verrons que le jeu peut avoir des fonctions très différentes, fonctions religieuses ou fonctions ludoéducatives, parfois au service de la propagande d’Etat ou issu de mouvements de la contreculture, au service du management des entreprises.
Nous n’avons pas prétention d’apporter un éclairage exhaustif et scientifique sur le jeu mais de montrer une évolution des pratiques du jeu au cours de l’histoire.

© yanngautreau.fr

La préhistoire, un apprentissage par l’image ?

On retrouve peu de traces historiques de l’utilisation des jeux dans la préhistoire, même si l’on suppose que ceux-ci étaient principalement des jeux d’adresse. On peut s’interroger cependant sur les traces laissées par ces civilisations qui ne maitrisaient pas l’écriture. On peut considérer que l’art rupestre ou pariétal, laissant des messages dans la pierre, a eu certainement une fonction de transmission et de transcription du monde environnant. Peut-on parler d’apprentissage du monde par l’image ? Nous laisserons l’archéologie et l’histoire des arts répondre à ces questions.

Le jeu à l’époque Antique, du divertissement jusqu’au religieux.

L’Egypte antique et la fonction religieuse du jeu.

Pour les Egyptiens, le dieu THOT était à la fois le dieu de l’écriture et des jeux. Ceux-ci appréciaient beaucoup les jeux de sociétés et l’on retrouve des pièces de jeux enterrées avec les morts. Il apparait que toutes les classes sociales jouaient. Les jeux étaient surtout des jeux de parcours ou le hasard conditionnait le déplacement des différentes pièces. Mais ces jeux, dépassaient aussi largement le simple cadre ludique pour se dédier aux pratiques divinatoires et funéraires. Ainsi, Le SENET (qui signifie « passer ») est très pratiqué, on suppose que ce jeu est joué pendant une très longue période (de 2000 à 2500 ans selon les sources), et qu’il aurait certainement beaucoup évolué. Sous le Nouvel Empire, de 1550 à 1070 avant notre ère, le SENET acquiert une importance religieuse car il est inscrit dans le Livre des morts où l’on voit le défunt jouer avec un adversaire invisible et indiquerait le mouvement de l’âme à travers le Royaume des morts.

La Grèce et la Rome Antique, Le goût du hasard et premières fonctions éducatives du jeu.

Les Grecs et les Romains étaient friands de jeux. L’archéologie et l’ethnologie permettent de comprendre l’impact du jeu dans ces civilisations. Les sources sont nombreuses. Le jeu peut avoir une dimension collective (les jeux Olympiques et autres jeux), lié à la compétition ou recouvrir des formes variées au service du divertissement et du plaisir (les jeux de dés, les osselets). Selon l’excellent article des jeux et des hommes (François Perdrial- 1992), Platon attribue l’invention des dés au Dieu Thot (encore lui ?!), Hérodote l’attribue aux Lydiens. Dans la vie de Romulus, Plutarque montre les dieux descendus de l’Olympe sur la terre afin de jouer aux dés avec les gardiens des temples. Homère décrit les prétendants de Pénélope jouant aux dés devant les portes du palais d’Ulysse.

En revanche, des philosophes commencent à diffuser l’idée que le jeu peut, et doit être au service de l’apprentissage. Est-ce une des premières approches du jeu ludoéducatif ?

Ainsi, Quintilien, philosophe antique et grand orateur, prônait qu’il fallait faire des apprentissages par le jeu : « que l’étude, pour l’enfant, soit un jeu », Cela était le plus souvent limité aux apprentissages de base comme le rappelle Platon dans Les Lois (I, 643 c) : « Et par l’usage des jeux, l’on s’efforcera de tourner les goûts et les désirs des enfants vers le but qu’ils doivent avoir atteint à l’âge adulte ».

Le Moyen-Age : La diffusion des jeux, règles et codifications.

Au moyen-âge, en Europe, L’Eglise voit d’un assez mauvais œil le jeu et les jeux éducatifs. Cependant, dans le même temps c’est aussi l’émergence du jeu d’échec (probablement importé d’Inde vers 950) et des premiers jeux de cartes (vers le 14e siècle en Europe). C’est aussi l’apparition des premières figurines de guerre. Le mot jouet apparaît pour la première fois dans un dictionnaire français en 1534, et ceux-ci sont vendus par les petits merciers ambulants qui parcouraient villes et villages favorisant leur diffusion.
A la Renaissance, on assiste à un renouvellement des préoccupations éducatives portées par l’essor de l’humanisme. Cependant le rôle des religieux est toujours très important dans la pédagogie. On attribue à Thomas MURNER , théologien catholique, le premier jeu de carte sur la logique, afin d’empêcher les étudiants de jouer à des jeux condamnables. Devant les gros progrès des étudiants dans ce domaine, on accusa même son auteur de pratique de la magie. On assiste alors à un gros succès des jeux de carte grâce à l’essor de l’imprimerie. C’est aussi le début des règles et des codifications des jeux.

Devant le succès des jeux, et les désordres inhérents à leur pratique le roi Henri III choisit en 1583 d’en taxer et d’en régir la consommation. Le roi établit un droit d’un sol parisis pour chaque paire de carte, crée un moule officiel et prescrit, pour empaqueter les jeux, la fabrication de couvertures que les cartiers doivent payer. Un impôt sur les cartes à jouer perdurera sous des formes différentes jusqu’en 1959 et son remplacement par la TVA.

L’époque moderne et l’essor des jeux éducatifs pour la formation des élites.

Durant la 17e siècle, l’éducation est affaire de morale et l’Eglise est toujours très présente. Les jeux éducatifs sont souvent l’apanage des élites. Le jeu de l’Oie est apparu pour l’éducation à la morale, les figurines servent à favoriser la culture guerrière des petits garçons. C’est aussi l’apparition des jeux sur l’histoire, la mythologie et sur la géographie. Il n’y a, dans le même temps, peu ou pas de jeux de calculs ou de logique et pas de jeux pour les filles…

Le 18e siècle voit peu de progrès mais quelques avant-gardistes dont Monsieur de VALLANGE affirment que l’éducateur doit associer l’étude et le jeu. Il propose en 1719, dans sa publication du Plan général une réforme de l’éducation en ce sens. Ses principes éducatifs se retrouvent dans l’Art d’élever les jeunes princes dès le berceau en 1732. Il met la notion de plaisir au centre des apprentissages. Il imagine une sorte d’alphabet en associant une lettre à une image, selon lui il est plus amusant de retenir le nom de l’objet dessiné puis celui de la lettre qui est associée. On retrouve ce principe pendant longtemps dans les livres éducatifs pour enfants.

Les jeux éducatifs imprimés se développent, l’Abbé Bertauld, dans la quadrille des enfants en 1745, invente des cartes représentant les sons fondamentaux de la langue française au travers la représentation d’objets familiers.

Le 19s voit l’essor de l’industrialisation et la diffusion de l’instruction. Cela a pour effet de permettre à un plus grand nombre d’accéder à ces jeux qui sont désormais à bas prix. Les succès des images d’Epinal en sont le bon exemple. Autour de 1840, l’introduction de la lithographie, procédé plus rapide et moins coûteux, marque l’abandon de la xylographie et les débuts d’une production massive et facilement diffusable accélérée par le progrès des transports.  

C’est à cette époque que le « kriegspiel » ou jeu de guerre est employé à des fins de formation pour les futurs officiers prussiens, de nombreuses variantes seront améliorées jusqu’à nos jours. Ainsi, en 2015, l’US Army a dépensé plus de 27 millions de dollars dans des dispositifs de formation virtuels.

Il est à noter, une multiplication des jeux historiques et géographiques et à l’apprentissage des langues. C’est aussi le renouveau des jeux scientifiques et des jeux pour les filles.

L’époque contemporaine : démocratisation du jeu et succès commercial

En ce qui concerne le 20e siècle, et après parfois l’utilisation des jeux à des fins patriotiques (voire nationalistes) et politiques. On assiste au développement de jeux éducatifs s’adressant à des tranches d’âge plus larges qui vont de la petite enfance à l’âge adulte. Les jeux pour adolescents connaissent une très forte progression avec l’apparition de nombreux supports nouveaux. En effet, les jeux de rôles, les jeux de simulation sur plateau, les wargames et les jeux vidéo connaissent un véritable essor.

C’est aussi l’apparition, sous sa forme actuelle, des SERIOUS GAMES, terminologie définie par Clark ABT dans son ouvrage éponyme dans les années 80, en référence au serio ludere de l’école humaniste italienne du XVe siècle. Il s’agit ici de diffuser des messages éducatifs mais aussi de marketing, de politique, d’économie voire de management par l’intermédiaire du jeu.

Citons enfin les jeux coopératifs où les joueurs poursuivent le même objectif en jouant contre le jeu et non les uns contre les autres. Ce type de jeux est apparu aux USA issu de la mouvance de la culture de la non-violence en réaction à la guerre du Vietnam. Ces jeux sont arrivés en Europe par l’Allemagne, grand pays de jeux, grâce notamment à la société HERDER SPIELE qui édite dans les années 80 une collection de jeux coopératifs pour les enfants.

Aujourd’hui, avec plus de 159 milliards de dollars, le marché du jeu surpasse l’industrie musicale, surtout porté par l’industrie du jeu vidéo. Cependant, depuis quelques années, la France est devenue le premier marché du jeu de société et de jeux de cartes en Europe, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ainsi, il se vend un jeu de société par seconde en France pour un marché de presque 600 millions d’euros. La croissance est de 15 % par an… depuis 15 ans. Il apparait d’ailleurs que la crise de la COVID 19 a renforcé ce goût pour les jeux de société. Les familles, mais aussi les étudiants, les joueurs aiment se retrouver autour d’un jeu et de laisser un peu tomber les écrans…

Selon Philippe LEPINARD, Maître de conférences à l’Université Paris Est Créteil et auteur de nombreux articles sur l’apport du jeu et de de la ludopédagogie dans les enseignements, les «  jeunes étudiants que j’ai eu depuis quatre ans s’éclatent beaucoup plus sur du jeu physique, ils ont besoin de parler, d’être ensemble, [de faire société] et d’être à la même table « .

Les autrement dit font effectivement le pari que le ludoeducatif est à la fois au service du plaisir et de la performance pour les entreprises mais aussi au service des élèves et étudiants, avec sa proposition de jeu le « Big O » qui apporte une solution de préparation au Grand Oral du Baccalauréat.

L'AUTEUR :
Denis Duperthuis D’abord conseiller en formation pendant une vingtaine d’années dans un OPCO de branche, j’ai donné un nouveau tournant à ma carrière en créant ma structure, DEBLOCK COMPETENCES, en 2018. Depuis, j’accompagne mes clients, TPE-PME dans leurs projets de développement de compétences en proposant un appui RH externalisé. Je soutiens depuis l’origine le projet des Autrement dit qui fait le pari de réintroduire l’humain au coeur du sujet, au centre du jeu.
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